Chuuut quand je parle trop fort, oui oui je parle parfois trop fort sans le faire exprès, ma voix est enrouée, oui, oui, je suis habituée aux coups d’oeil qu’on me jette dans le métro, dans la rue, etc… oui, oui, je suis un boulet quand je ne comprends pas, quand je vous fais répéter… Avant, ça me mettait mal à l’aise ou me faisait souffrir en voyant que l’autre est gêné par moi, par ma particularité, mon fardeau dont je ne pouvais me débarrasser. Je faisais fuir certaines personnes et je les fuyais aussi. Elles sont sympas avec moi mais m’ignorent en la présence des autres, que dire devant ce genre d’attitude ?

J’ai appris à faire en sorte que ça glisse désormais sur moi, à laisser l’eau couler sous le pont. J’ai appris à deviner les arrière-pensées des entendants grâce à mon expérience acquise en intégration. J’ai appris à anticiper certaines situations, à accepter des maladresses. Je me dis parfois qu’en restant avec elles, je perds mon temps.

Je sais que d’autres personnes existent, celles qui m’écoutent, celles qui m’acceptent telle que je suis, celles qui ont compris que ma personnalité n’est pas limitée par ma surdité !
En bref, je suis une personne comme les autres, un être humain qui a des sentiments et qui voit tout ce qui l’entoure. Ceux qui me connaissent bien, ceux qui ont croisé mon chemin, savent que je ne parle pas de surdité avec eux. Que je vis ma vie comme une femme, comme une amie, comme une maman, comme une cadre, comme une sourde… Autant d’états à la fois, c’est magique.

source Roy Lichtenstein Foundation

J’ai appris à trier mes amis – avec ou sans regret -. J’ai appris à accepter les défaites de certaines relations et à préserver les relations qui me font du bien. J’ai appris à renoncer aux relations malsaines avec ceux qui ressentent la compassion envers moi. J’ai appris à me fier à mon instinct (qui n’est pas toujours infaillible, loin de là !). J’ai appris à encaisser des attaques ou moqueries, à me défendre des malentendus (pas aussi souvent que je ne le voudrais), à réagir vite, etc… J’ai appris à m’ennuyer avec les entendants, à dire non quand ça va trop loin dans ma souffrance de sourde, à accepter certaines situations inévitables.

J’ai appris à profiter des petits plaisirs du quotidien avec ma famille, mes amis (et parfois des inconnus), à me les approprier à ma manière, à lâcher prise. J’ai enfin accepté ma surdité comme une alliée et non plus comme une ennemie. J’ai appris à me blinder avec une carapace renforcée, à m’affirmer, à faire fi du regard des autres et ça m’a pris beaucoup de temps. Je sais maintenant que je ne peux pas rester longtemps dans un groupe où je m’emmerde. Je ne peux plus accepter de perdre du temps avec quelqu’un qui ne comprend pas ma surdité ou qui n’a pas envie de faire un effort, juste pour que je me sente bien.

Je suis enfin en paix avec moi-même. Je me sens libre. Si je me lève le matin, ce n’est pas parce que je suis sourde, mais parce que je vis le jour au jour. Ce n’est pas la peine de se tracasser pour les problèmes de communication (ce sont les autres qui font une fixation dessus) mais pour d’autres choses plus importantes comme le respect, l’amitié, la famille et l’amour. C’est comme ça que j’ai réussi à trouver mon vrai moi en déléguant la surdité au second plan. Ce que les autres ne comprennent pas toujours.

Un jour, un déclic. Et ça fait déjà quinze ans que ça continue, que je m’améliore de jour en jour, que j’apprends encore, que je me remets parfois en question pour de bonnes raisons. Que mes rencontres me convainquent de plus en plus dans ma raison d’être, dans ma façon de penser.

Sans votre regard d’entendant ou vos préjugés, je n’aurais pas appris tout ça, je n’aurais peut-être pas trébuché sur autant de cailloux sur mon chemin, je n’aurais peut-être pas avancé comme je l’ai fait jusqu’à maintenant dans ma vie. Donc MERCI à vous.

Et pour finir ce billet en beauté, je vous laisse découvrir la citation d’Alexandre Jollien :